Quand les lutins s'en mêlent, un conte de Simon Gauthier
Chapitre 1 :
Durant le temps des fêtes, la grande attraction au village consistait à admirer les façades des magasins décorées par les guirlandes brillantes, les boules de Noël et les personnages féeriques. Entres elles, les vitrines rivalisaient pour être des plus belles. Cependant, il y en avait une sans joie, ni pétillement ; c'était celle d'Oziaz le pâtissier. A l'approche de Noël, ce pauvre Oziaz disparaissait derrière ses fourneaux, obligé de cuisiner sans répit, jour et nuit, gâteaux et autres sucreries. Noël finit par le rabougrir au point de le rendre fade et sans saveur, tout comme ses pâtisseries.
Chapitre 2 :
Quand la veille de Noël, des clients se plaignirent : "Ton flan est dur comme du ciment !", "Une petite chaussette dans mon croissant !", "Tes clés sont dans mon feuilleté !", "Coudonc, Oziaz aurais-tu perdu l'esprit ?". Seul et accablé, tête penchée dans son atelier, Oziaz songea à fermer boutique. Quand il remarqua, dans la farine sur le plancher, des empreintes de petits pieds. Dans la pâte à biscuits, un petit lit. Et entre les étagères, de petites échelles tressées de foin. Il comprit soudain : "Des lutins ! Joueurs de tours ! Petits vauriens ! En plus de gâcher mon travail, vous avez fait un fou de moi !".
Chapitre 3 :
Bien décidé à se débarrasser de cette calamité, Oziaz se cacha entre les sacs de farine. La nuit venue, il perçut des grattages, des craquements et des petits bruits. D'un coup, il bondit ! Surpris, les lutins déguerpirent, renversant tout sur leur passage. Furibond, Oziaz pourchassa les farfadets de son atelier jusque dans la forêt où ils disparurent entre les bosquets. Alors qu'il se croyait seul, il entendit : "T'as bien couru ? Maintenant tu vas danser ! ".
Chapitre 4 :
Derrière lui, se tenaient des centaines de petits êtres. Dans leurs yeux verts pulsait une lumière ensorcelante. C'est alors qu'une force étrange s'empara de lui. Oziaz se mit à exécuter, sans arrêt, cabrioles, grands écarts et tourniquets. Curieusement, au fil des mouvements, fleurissait en lui une transe épanouissante, si agréable, qu'il supplia même les lutins de continuer la danse. Ebaubis, les petits êtres se réjouirent de ce géant exultant. Alors, dans l'intimité du sous-bois, turlupins et turlupines, incroyable ! Lutins et lutines se joignirent au plaisir. Entre deux pirouettes, Oziaz invita la joyeuse troupe à continuer la fête dans son atelier.
Chapitre 5 :
A l'intérieur, le tourbillon allait de plus belle. Du haut des étagères, des lutins plongeaient tête première dans les sacs de farine, roulis-roulaient sur les rouleaux à pâte des lutines, tandis qu'Oziaz giguait en jonglant avec ses ustensiles de cuisine. Il monta sur une table, et pour épater la galerie tel un magicien, il prépara des dizaines et des dizaines de recettes en un tour de main. Médusés, les petits êtres eurent la certitude de se trouver devant un grand sorcier. Le restant de la nuit fut fantastique. Les centaines de farfadets mirent la main à la pâte, suivant à la lettre : ingrédients, quantités et autres procédés formulés par le magicien-pâtissier. Des fourneaux sortit un nombre inimaginable de brioches, de tartes, de sucreries et de gâteaux. Quand vint l'aurore, tous se régalèrent dans les pâtisseries et un cri de joie scella la promesse de se retrouver chaque année. Ainsi se termina le premier réveillon de Noël entre le monde des lutins et celui des humains.
Chapitre 6 :
Peu après le lever du soleil, le village était attroupé devant la boutique. Il y avait dans la fenêtre des centaines de nez collés et autant de regards fascinés. La vitrine d'Oziaz était sublime. Ornée de décorations qui dépassaient l'imagination, elle débordait de joyaux sucrés que seuls des doigts de fée, dit-on, auraient pu confectionner... Mais plus merveilleusement encore était le sourire qui dansait sur le visage su pâtissier, endormi sur son établi.
Chapitre 7 :
Depuis ce réveillon, Oziaz retrouva plaisir au travail, ce qui redonna de la saveur à ses pâtisseries. Et à l'approche de Noël, on le voyait danser dans les rues du village, un pas chassé par-ci, un entrechat par-là. Il attendait le retour de ses fantastiques amis qui venaient de mettre dans sa vie un brin de magie.